Une peintre se fait censurer son Origine du monde culottée par la mairie de Saint-Raphaël

Une peintre se fait censurer son Origine du monde culottée par la mairie de Saint-Raphaël

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© Raphaël Gaillarde/Getty Images

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Par Lise Lanot

Publié le

S’il ne voit pas de problème avec la version originale de L’Origine du monde de Courbet, ce maire du Var refuse d’exposer celles de Dominique François, recouvertes d’une culotte.

À 68 ans, Dominique François ne pensait sans doute pas créer tant de remous en exposant ses toiles avec son association de peintres amateur·rice·s, Palette 83. Cette année, l’association basée à Saint-Raphaël, dans le Var, proposait à ses adhérent·e·s de réinterpréter un chef-d’œuvre ancien, à leur façon. La sexagénaire avait choisi le célèbre tableau de Gustave Courbet représentant un sexe dénudé de femme, L’Origine du monde.

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Pudique, Dominique François avait recouvert la vulve de Constance Quéniaux, la modèle présumée du tableau original, d’une culotte peinte sur sa première toile, et d’une culotte en tissu sur la seconde. Petite facétie de l’artiste : la culotte en tissu peut être soulevée par le public, qui découvre alors le sexe en deux dimensions. Horreur et outrage pour la mairie de Saint-Raphaël, qui a censuré les œuvres de Dominique François et jugé que son travail était d’une “vulgarité absolue”, rapporte le Huffington Post.

Gustave Courbet, L’Origine du monde, 1866. (© Musée d’Orsay)

Le journal ajoute qu’une réinterprétation de La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli a également été censurée de l’exposition, pour une durée moindre que L’Origine du monde revue par Dominique François, qui n’a jamais vu les murs de la salle d’exposition. On soupçonne cependant une certaine dissonance cognitive chez Frédéric Masquelier, le maire de Saint-Raphaël, qui a déclaré que L’Origine du monde de Gustave Courbet n’était en rien vulgaire”.

Le maire aurait également sorti la bonne vieille carte des enfants, qui pourraient être choqué·e·s face aux œuvres de Dominique François, et qui “n’en apprendraient rien d’autre que de la vulgarité”. On conseille à Frédéric Masquelier de ne surtout pas emmener ses enfants au musée : les nus (féminins, principalement) y pullulent. Nous avons tenté de contacter l’édile à plusieurs reprises pour comprendre en quoi la version revisitée de Dominique François était plus problématique que celle de Gustave Courbet, sans succès. En plus du Var-Matin, le Huffington Post et BFM TV ont couvert cette affaire de censure, couvrant la décision du maire d’un bel effet Streisand (lorsqu’un phénomène est surdiffusé après qu’on a tenté de le dissimuler).

Une œuvre bien vivante

Cela fait près de trente ans que L’Origine du monde de Gustave Courbet est exposé au musée d’Orsay et est considéré comme l’un de ses chefs-d’œuvre. Pourtant, hors des murs du musée et hors des mains de son auteur, le tableau, ou plutôt ce qu’il représente, une vulve en gros plan, continue d’en faire pâlir certain·e·s. En février 2011, un instituteur français voyait son compte Facebook supprimé après avoir posté un simple lien renvoyant vers un documentaire d’Arte sur l’œuvre de Gustave Courbet.

Selon lui, le réseau social avait jugé l’image d’aperçu de la publication trop osée et contraire à sa politique relative à la nudité – réduisant ainsi le célèbre tableau à un aspect tabou, à la limite de la pornographie. Remonté contre cette censure injuste, l’homme avait poursuivi Facebook en justice. Après huit ans de poursuites, l’instituteur les abandonnait contre un don de l’entreprise de Mark Zuckerberg pour une association dédiée au street art.

En 2014, l’artiste Deborah de Robertis réinterprétait, elle aussi, L’Origine du monde de Gustave Courbet, en posant sous le tableau, cuisses écartées. Dix ans plus tard, en janvier 2024, l’artiste [forçait] la porte du Centre Pompidou-Metz pour y introduire [son] œuvre” au sein de “Lacan, l’exposition : Quand l’art rencontre la psychanalyse”. L’équipe curatoriale avait décidé, quelques mois plus tôt, de ne “pas faire figurer” son œuvre dans l’exposition.

Au début de ce mois de mai, Deborah de Robertis partageait sur son compte Instagram une nouvelle photographie d’elle devant l’œuvre de Courbet, le hashtag #MeToo inscrit en lettres rouges sur sa cuisse. L’artiste avait également tagué l’œuvre d’un #MeToo. Malgré l’usage d’“un matériau non agressif qui disparaît à l’eau”, la performance avait causé un sacré trouble dans le monde de l’art, qui dénonçait un “acte criminel”, de “vandalisme” perpétré par des “fanatiques féministes” plutôt que de s’émouvoir des violences sexistes et sexuelles dénoncées par l’artiste. Près de 160 ans après sa création, L’Origine du monde prouve encore une chose : montrer un sexe de femme ne pose pas problème tant que des hommes sont aux commandes. C’est une autre histoire si des femmes, qui ont l’audace d’être vivantes par-dessus le marché, s’en mêlent.